Compte-rendu de séminaire
Séminaire Les mots du vivre ensemble : la ségrégation et la mixité
21 mars 2017, EVS (UMR 5600)
Ségrégation et mixité
La quinzaine de participants de la Chaire présents à cette première séance a commencé par constater à travers un tour de table que les occasions dans l’environnement professionnel de se positionner sur la définition de ces notions omniprésentes dans le langage politique et professionnel sont rares, alors même que certains acteurs agissent explicitement dans la conduite de politiques anti-ségrégatives ou de mixité. L’association Habitat et Humanisme par exemple, utilise la notion de « quartier équilibré », dans lesquels elle souhaite implanter ses opérations, tout en reconnaissant devoir elle-même définir cette notion qui n’est guère usitée dans la littérature. Chez Alliade, on utilise le terme mixité au pluriel ; pour Linkcity la mixité renvoie à la mixité d’usages, et non de peuplement. Le séminaire de la chaire HEVD offre donc l’occasion de faire un point sur la manière dont ont circulé ces notions entre le monde scientifique et opérationnel, en ajoutant un point de vue international grâce à la participation de Sylwia Kaczmarek (Université de Łódź). Ségrégation / mixité : est-on face à un couple de contraires ? Pourquoi les politiques publiques en France se sont-elles focalisées sur la promotion de la mixité ? Retour d’abord sur une synthèse des contributions des sciences sociales sur ces notions et quelques définitions issues d’une bibliographie surabondante.
Comme beaucoup de termes en « -tion », la ségrégation désigne à la fois une situation de séparation (du latin segregare, enlever [des animaux] du troupeau) et les processus qui y conduisent. Le mot est présent dans les sciences « dures » (géologie, métallurgie, etc..) pour désigner la séparation d’éléments différents. Dans les sciences sociales, on désigne sous ce terme, selon les contextes, la mise à l’écart de groupes ethniques, raciaux, ou plus largement culturels et/ou socio-économiques. Les processus conduisant à la ségrégation sont d’une part subis (relégation), et parfois organisés par l’Etat (ségrégation raciale qui existait aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud), d’autre part choisis (il existe des quartiers ou des villes privées réservés à certains types de résidents, choisis a minima selon leurs revenus, parfois selon des critères d’âge, etc.). Qui dit ségrégation dit limite dans l’espace urbain, qui peut être matérielle (clôture, inscriptions) ou immatérielle, présente dans les mentalités et dans les pratiques spatiales. La ségrégation existe à différentes échelles géographiques, de la cage d’escalier au quartier de milliers d’habitants. De nombreux indicateurs chiffrés permettent de la mesurer (1), dont l’indice de dissimilarité, qui en comparant la distribution spatiale de deux groupes, mesure leur séparation, de 0 (similitude maximale, intégration) à 1 (dissimilarité maximale, ségrégation).
Les études sur la ségrégation socio-spatiale en milieu urbain ont une histoire longue, qui remonte à l’analyse de la répartition des groupes ethniques à Chicago au début du XX° siècle (2). En France, les études sur ce sujet se sont développées surtout dans les années 1980 et 90 (3), mobilisant des méthodes quantitatives jusqu’à la modélisation par systèmes multi-agents (4), ou qualitatives, y compris dans une veine néo-marxiste inspirée du « droit à la ville » (5).
Les pouvoirs publics ayant mis en avant le terme de mixité depuis la Loi d’Orientation sur la Ville de 1991, la recherche s’est ensuite réorientée vers sa traduction dans les réalisations menées en son nom dans la politique de la ville. Celle-ci met l’accent sur des objectifs de mixité sociale dans l’habitat, celle-ci étant supposée dériver du mélange d’habitants aux statuts d’occupations variés (au lieu des « ghettos de HLM »). Ceci place la focale sur le peuplement comme moyen de contrer la ségrégation, et d’atteindre la mixité attendue. Or les recherches présentées par Christelle Morel Journel dévoilent les contradictions et non-dits auxquels font face les acteurs de terrain chargés de mettre en œuvre les politiques de peuplement (6). Par ailleurs dès les années 1970, un célèbre article avait démontré que la co-présence d’habitants d’origines sociales contrastées dans un grand ensemble ne produisait pas mécaniquement des interactions entre ceux-ci (7)…ce qui avait été aussi vérifié en Pologne à la même époque !
Dans les échanges, les bailleurs sociaux mettent en avant la difficulté à mesurer la mixité, qui pourtant est bien l’objectif à atteindre. Les recherches ne font pas consensus non plus : la gentrification qui par définition, au moins temporairement, produit de la mixité, est condamnée par les uns au nom du droit à la ville, et saluée par d’autres qui considèrent que la co-présence de catégories sociales différentes dans l’espace public est déjà un acquis. Les expériences étrangères invitent aussi à nuancer les résultats attendus de la mixité, surtout si celle-ci n’est pas souhaitée par les habitants concernés (8). Les promoteurs se posent la question de lieux capables de créer de la mixité, et réfléchissent davantage sur la mixité d’usages que sur celle des usagers. La Métropole de Lyon présente comme indissociables l’objectif de mixité avec l’ambition lyonnaise d’être une grande métropole européenne.
En somme, praticiens et chercheurs n’ont pas fini de progresser ensemble dans la compréhension et l’analyse critique des fondements et méthodes de la mixité comme moyen d’ « habiter ensemble » la ville de demain !
Pour aller plus loin : les références citées
- Apparicio Philippe, 2000, « Les indices de ségrégation résidentielle : un outil intégré dans un système d’information géographique », Cybergeo : European Journal of Geography, Espace, Société, Territoire, document 134, mis en ligne le 16 juin 2000. URL : http://journals.openedition.org.bibelec.univ-lyon2.fr/cybergeo/12063
- Grafmeyer Yves, Joseph Isaac, 1990, L’École de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, 1990, Paris, Aubier.
- Brun Jacques, Rhein Catherine (1994), La ségrégation dans la ville, Paris, L’Harmattan.
- Badariotti Dominique, Weber Christiane, 2002, « La mobilité résidentielle en ville. Modélisation par automates cellulaires et système multi-agents à Bogota », L’Espace géographique, vol.2, tome 31, p. 97-108.
- Lefebvre Henri,[1968] 1972, Le Droit à la ville, Paris, Anthropos
- Morel Journel Christelle, Sala Pala Valérie, 2014, Le peuplement comme politiques, Rennes, PUR.
- Chamboredon Jean-Claude et Lemaire Madeleine, Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement, Revue française de sociologie, vol. 11, n°1, p. 3-33.
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1970_num_11_1_1610
- Charmes Éric, 2009, « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou les ressources ? », La Vie des idées, URL : http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-approche-critique-de-la-mixite-sociale.html