Portrait de chercheur(e)
Mylène Pardoen, archéologue-musicologue, fait écouter la ville du passé
Faire écouter la ville du passé…. Fouiller le passé pour en restituer l’univers sonore
Echange avec Mylène Pardoen archéologue-musicologue, chercheure à l’Institut des Sciences de l’Homme (ISH), chercheure associée à EVS (UMR 5600 – CNRS), au CHR/LaDéHiS (UMR 8558 EHESS-CNRS). Mylène Pardoen coordonne le projet Bretez (labellisé IMU), une reconstitution immersive de l’atmosphère sonore de Paris au 18e siècle. Mylène est également membre du studio IMU Expériences sensibles & recherche urbaine et partenaire académique du projet IMU « SOUNDCITYVE – Archéologie du paysage sonore : pour une restitution Sensible des Sons d’hier dans la Ville de Lyon « (AAP IMU 2017).
Archéologue du paysage sonore, cela consiste en quoi ?
L’archéologie du paysage sonore consiste, pour des époques plus ou moins éloignées, à pister les traces sonores sur tous types de documents, puis les analyser afin de comprendre les articulations, les rythmes et les porosités qui existent. Dans une toute dernière étape, l’archéologue propose des restitutions (des modèles virtuels) en s’appuyant sur des enregistrements de sons réels – des sons du passé encore présents de nos jours.
Comment retrouvez-vous les sons ?
Cela s’opère en trois grandes étapes :
La collecte : on traque des indices sonores en fouillant dans les archives – tout type d’archive. J’ai classé ces indices en trois catégories :
- La première associe directement une image ou un terme, un son (exemple : un chien => il aboie => aboiement) ;
- La seconde est plus de type agrégat ou ambiance (on doit analyser des scénettes et trouver les bruits et sons qui sont représentés. Le but est de recréer de manière sonore la scénette visuelle ou textuelle peu complexe) ;
- La troisième catégorie demande une recherche plus longue. Ce peut être le cas typique de la localisation d’un artisan (trouver son métier, les outils utilisés, puis chercher si de nos jours le métier est toujours exercé, avec les mêmes outils et, enfin, trouver l’artisan qui accepte de se faire enregistrer).
La collecte d’enregistrements : on enregistre, on les nettoie, on les classe.
La restitution : là également, on opère en plusieurs étapes :
- La première est une sorte d’épure, de canevas (comme on le ferait pour écrire un article ou commencer un dessin). On jette les grandes lignes des différentes acoustiques et ambiances trouvées. Et progressivement, nous allons fabriquer une sorte de « mille-feuilles » de plus en plus précis où chaque feuille représente des caractéristiques des lieux étudiés (la faune, les acoustiques, les métiers,...).
- La seconde consiste à recouper les informations, analyser les informations récoltées, « détricoter » les narrations trouvées (pour « neutraliser » le discours, prendre de la distance et éviter de jouer avec les émotions) et recréer des scénarios pour les narrations sonores.
- La troisième est la mise en son, en requalifiant les scènes sonores – notamment en les plongeant dans les acoustiques des lieux où elles sont situées.
Avec quels "spécialistes" travaillez-vous ?
Les projets de restitutions d’objets du passé – quels qu’ils soient – nécessitent de s’appuyer sur des disciplines de sciences humaines et sociales (historiens, historiens de l’art, sociologues, ethnologues, etc.), mais également des sciences de l’ingénieur (notamment pour toute la partie informatique). L’archéologie du paysage sonore est le résultat d’une collaboration transdisciplinaire.
Quelles sont les applications concrètes de votre discipline, de vos recherches ?
Actuellement, c’est plutôt le secteur de la recherche et celui de la muséographie qui est en demande. Mais, la valorisation peut se faire sur d’autres segments touchant au secteur ludo-culturel (notamment avec les technologies liées à la réalité augmentée), à celui de l’enseignement, et coté des médias, toutes les productions entrant dans le domaine du documentaire.
Est-ce que demain, votre discipline pourrait être utile à une reconstitution de notre futur environnement sonore urbain ?
Ma discipline, avec ses propositions, permet de mettre en lumière des rythmes, des densités et des ambiances sonores spécifiques. Actuellement, il existe de nombreux verrous qui ne permettent pas la diachronie (et ainsi pouvoir mettre en évidence des ruptures ou des évolutions – qu’elles soient lentes ou pas) – ce que la plasticité du cerveau permet de percevoir. Ces propositions pourraient, en effet, être un point de départ pour mener des comparaisons et, peut-être comprendre certains phénomènes sociétaux. Mais, il faut garder à l’esprit que notre rapport au sonore s’est profondément transformé. Ainsi dans le passé, le son, les bruits, sont autant de repères spatio-temporels dont nous avons, aujourd’hui, oublié la pertinence (des outils comme le smartphone nous offrent à la fois la possibilité de connaitre très exactement l’heure qu’il est et de se localiser grâce au GPS par exemple). Se réapproprier notre environnement sonore serait sans doute la première étape nécessaire.
Que vous apporte le LabEx IMU, quelles sont aussi vos attentes ?
En labellisant des projets tel que Bretez ou en finançant un projet comme SoundCITYve, IMU nous offre un soutien logistique important, une visibilité, mais également une reconnaissance certaine dans le monde international de la recherche. Avec le soutien d’IMU, des projets expérimentaux à fort potentiel peuvent ainsi débuter et prétendre ensuite à des financements proposés par l’ANR ou H2020.