Compte-rendu de séminaire

Séminaire "Les mots du vivre ensemble : l'inclusion "

14 mars 2018 – Hôtel de la Métropole de Lyon

L’inclusion, la ville inclusive…Ces expressions ont tendance à occuper une place croissante à la fois dans la langue politique, médiatique et scientifique. Mais de quoi parlons-nous lorsque nous utilisons ces termes ? D’où viennent-ils ? Selon nos pratiques, qu’elles soient opérationnelles ou scientifiques, il n’est pas sûr que nous parlions de la même chose ! La discussion a été introduite par de courtes interventions de Patrice Berthé (Habitat et Humanisme), Valérie Leroy-Reynac (Alliade Habitat), Sylwia Kaczmarek (Université de Lodz) et Lydia Coudroy de Lille (Université de Lyon) qui ont permis de stimuler les échanges de points de vue avec la vingtaine de participants présents.

Synthèse des échanges

La définition du terme inclusion ne fait pas consensus. Ce terme peut être qualifié de quasi concept (1), soit une construction mentale hybride, utilisée par différents acteurs, praticiens et scientifiques, et souvent imposés à ces derniers par l’agenda politique. La notion garde alors une certaine plasticité en raison des différentes définitions existantes. La comparaison des termes inclusif et incluant pose également question. La ville inclusive ferait écho à une ville « juste », tandis que la ville incluante renverrait plutôt à la ville « qui insère ». Lors de la discussion, le rapport entre inclusion et intégration est également interrogé. Pour plusieurs, l'inclusion passe par l'intégration, mais alors que celle-ci renverrait plutôt à un rapport de l'individu à l'espace, l'inclusion aurait davantage une dimension sociale.

L’inclusion est-elle le contraire de l’exclusion ? de la pauvreté ? Un bref rappel historique de la manière dont le terme d’inclusion s’est imposé dans le débat public européen permet d’apporter des éléments de réponse. Traditionnellement, toute société comporte des personnes riches et des personnes pauvres, qui font donc toutes partie intégrante de celle-ci et participent à sa hiérarchisation. Mais qu’est-ce qu’êtr pauvre ? La Commission Européenne propose une définition de la pauvreté monétaire et contextuelle : une personne est considérée comme vivant dans la pauvreté si son revenu et ses ressources sont insuffisants au point de l’empêcher d’avoir un niveau de vie considéré comme acceptable pour la société dans laquelle il vit (2). Cependant, les scientifiques adoptent une vision plus large, à l’instar d’Amartya Sen qui définit la pauvreté comme l'incapacité de participer à la vie politique et sociale, c'est-à-dire de ne pas avoir accès à la citoyenneté (3). Il est néanmoins mis en évidence, au cours de la discussion, le fait que l'individu développe alors de nouvelles formes de citoyenneté, de sociabilité et de solidarité auxquelles les espaces urbains ne sont pas adaptés.

Dans les années 1990, le débat scientifique et public s’est focalisé sur la notion d’exclusion (sociale), très corrélée à la pauvreté monétaire, mais désignant plus généralement un état de mise à l’écart de la vie en société. L'inclusion et l'exclusion soulignent l’opposition entre être dans ou en-dehors de la société : on peut être socialement inclus (notamment par l’emploi et le logement) mais pauvre (les travailleurs pauvres), et inversement très riche, mais en marge de la société (en vivant par exemple d’activités illégales).

Dans les années 2000, la Commission Européenne est passée d’une politique de lutte contre l’exclusion à des politiques d’inclusion et a mis au point des indicateurs, une méthode et un agenda communs aux Etats membres, tous chargés de mettre en place des Plans Nationaux d’Action pour l’Inclusion à l’horizon 2010 (4). L’inclusion est définie par la Commission comme un processus qui garantit que les personnes menacées par la pauvreté soient intégrées à la vie économique et sociale (2). L’inclusion serait donc le « contraire » de la pauvreté, en tout cas son antidote. L’examen des plans nationaux d’action pour l’inclusion montre que l’accent a été mis sur l’emploi – alors que d’autres leviers d’inclusion existent.

La discussion lors du séminaire soulève s’enchaîne sur le rôle de l’espace urbain dans les logiques d’inclusion, que ce soit à l'échelle urbaine ou à l'échelle du logement. Ces points semblent être des leviers importants dans l'optique de fabriquer la ville inclusive, qu’il s’agisse de l’adaptation des logements à l’accueil des personnes à mobilité réduite, ou de la colocation étudiante à projet solidaire, qui « inclut » le quartier à travers les actions proposées par les jeunes résidents. A Lodz, en Pologne, le programme de revitalisation urbaine a pour titre « la ville pour tous », dans une ville où persistent des poches de grande pauvreté et où la municipalité a été pilote au début du XXI° siècle dans leur identification et leur prise en charge. En Suisse, certains programmes immobiliers prévoient l’emploi d’un salarié chargé de construire la mise en relation des habitants au sein des nouveaux immeubles, avec succès. Mais le plus souvent, les dispositifs de mise en commun d’espaces ou de services pour favoriser l’intégration au lieu d’habitat se heurte à la rotation des habitants, et a du mal à tenir dans la durée. D’autres possibilités sont évoquées : l'informel pourrait également être un moyen d'aller vers l'inclusion (dans l’emploi par exemple). Un espace sans usage prédéterminer pourrait laisser place à une innovation individuelle et faciliter l’inclusion et le contact. Cela interroge la place que l'on donne à l'informel dans la fabrication urbaine.

La question des publics visés dans la réflexion sur l'inclusion est également posée. Les personnes touchées par la pauvreté, âgées ou handicapées sont-elles les seules ayant un besoin d'inclusion ? N’a-t-on pas tendance, dans les dispositifs d’action public, à toujours penser la fabrication de la ville inclusive en sollicitant les publics les plus fragiles ? Pour certains habitants, quelque soit leur niveau de vie, être inclus se manifeste justement par le désir de vivre chez soi, sans forcément fréquenter des espaces favorisant le vivre ensemble (espaces partagés, pratique d’activités collectives). Il est de plus mis en évidence qu'il est paradoxal d'attendre des populations qui sont justement victimes de l'exclusion, de faire un effort social particulier (comme pratiquer des activités communes ou partager des espaces).

 

Bibliographie citée :

  • Bernard Paul, 1999, « La cohésion sociale: critique dialectique d’un quasi concept », Lien social et politique–RIAC: Les mots pour le dire, les mots pour le faire: le nouveau vocabulaire du social, numéro 41, pp. 47-59.
  • Commission Européenne, 2004, Rapport commun sur l’inclusion sociale.
  • Rawl, John, et Sen Amartya, 2009, Comprendre la pauvreté, Paris, PUF.
  • Boulineau E., Bonerandi E., 2013, La pauvreté en Europe, Rennes, PUR.

 

Et aussi :

  • Paugam Serge, 2005, Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF.
  • Séchet Raymonde, 1996, Espaces et pauvretés. La géographie interrogée, Paris, L’Harmattan.
  • Sélimanowski Catherine, La frontière de la pauvreté, Rennes PUR, 2009.