Anne-Sophie CLÉMENÇON

anne-s_photo_m_cosnier

©Marianne COSNIER

Anne-Sophie Clémençon est historienne de l’architecture, de l’urbanisme et des formes urbaines à l’Université de Lyon, chargée de recherche au CNRS dans le laboratoire « Environnement Ville Société », et rattachée à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Ses principaux travaux portent sur la fabrication de la ville ordinaire, produite ni par de grands architectes, ni dans le cadre de grandes opérations urbaines. Ils portent aussi sur le patrimoine architectural de l’agglomération lyonnaise du XIXe au XXIe siècle, qu’elle a contribué à identifier et à protéger. Elle a publié, coordonné ou participé à de nombreux ouvrages, notamment Les gratte-ciel de Villeurbanne (les Editions de l’imprimeur, 2004) et La ville ordinaire, Généalogie d’une rive, Lyon, 1781-1914 (Parenthèses-CAUE Rhône Métropole, 2015). Elle développe aussi une activité de photographe d’architecture et de ville. Ses photos sont diffusées sur la photothèque de la Bibliothèque Diderot de Lyon (https://phototheque.bibliotheque-diderot.fr).

« La photo est une activité que j’ai toujours pratiquée, renforcée par une formation aux Beaux-arts et en histoire de l’art, et par une culture photographique en constant enrichissement. Cette pratique a donc tout naturellement pris place au cœur des recherches que je mène en histoire de l’architecture et des formes urbaines du XVIIIe siècle à aujourd’hui. Son rôle premier était de créer une documentation architecturale, les photographies permettant d’identifier précisément des bâtiments et de construire une analyse typologique. Très vite, cependant, cette fonction s’est élargie pour aller vers un travail photographique sur le long terme, plus complexe, qui croise les thèmes de l’espace et du temps : informer visuellement les mutations urbaines, les démolitions-reconstructions, revenir sur les mêmes lieux régulièrement, observer non seulement les bâtiments prestigieux, mais aussi et surtout, la ville ordinaire, dans sa banalité et sa fragilité. Les notions de séries et de récits photographiques se sont peu à peu affirmées fortement. Des références photographiques ont constitué des repères importants : entre autres Josef Koudelka pour son travail sur les ruines, Camillo José Vergara pour son rapport au temps long et à l’espace, Stéphane Couturier pour son regard architectural. Les reportages photographiques recoupent souvent les grandes thématiques que j’ai développées au cours de mon travail de recherche : le patrimoine architectural, la construction en terre, les Gratte-ciel de Villeurbanne, la ville ordinaire, le rôle du foncier, la planification, les effets de la réglementation urbaine… Le terrain privilégié est la métropole lyonnaise, mais de nombreux reportages concernent d’autres urbanisations, en France et à l’étranger. Ces photos, en priorité celles concernant l’agglomération lyonnaise, sont progressivement mises en ligne dans le cadre de la photothèque de la bibliothèque Denis Diderot de Lyon (https://phototheque.bibliotheque-diderot.fr). D’autres travaux photographiques, moins directement liés aux recherches évoquées plus haut, sont également menés. Ils développent des approches différentes, qu’elles soient thématiques, comme le paysage, les alternatives écologiques…, ou plastiques et abstraites. »

v4clemencon_3_dsc_0042_tifredresseev2

Le pavillon H de l'hôpital Edouard Herriot, jusque là service d’hépato-gastro-antérologie, vient juste d’être quitté par les derniers occupants. Il présente encore de nombreuses traces de présences humaines et ménage, pour peu de temps encore, de belles perspectives sur les pavillons voisins. 2 décembre 2014 ©Anne-Sophie Clémençon

Tony Garnier : le mépris de l’œuvre

Démolition du pavillon H de l’hôpital Edouard Herriot, Lyon, 2014-2016

Photos Anne-Sophie Clémençon

L’architecte urbaniste Tony Garnier (1869-1948) est mondialement connu. En 1904, il publie l’ouvrage La cité industrielle, qui sera complété en 1917, et qui influencera plusieurs générations de concepteurs dans le monde entier. Il y projette une ville moderne à la morphologie nouvelle, entièrement en béton, où tous les équipements collectifs nécessaires à la vie d’une grande agglomération sont mis en place. Il jette ainsi les bases de l’urbanisme contemporain. Mais Tony Garnier n’est pas seulement un concepteur, c’est aussi un bâtisseur. Ses principes de « La cité industrielle » sont testés, expérimentés, avant et après la 1e guerre mondiale, dans l’une des grandes villes de France, Lyon. La production de cet architecte y est presque exclusivement concentrée, encouragée par le maire de l’époque, Edouard Herriot. Or, ce patrimoine architectural et urbain qui pourrait faire la fierté de cette ville, à l’image de celui de Gaudi à Barcelone, est négligé et progressivement amputé, bien que protégé pour une grande partie. Des abattoirs, il ne reste que la grande halle, les villas personnelles de l’architecte ont été modifiées, le stade a fait l’objet d’une profonde réhabilitation, de qualité il est vrai. Aujourd’hui, c’est l’hôpital Edouard Herriot qui est amputé de l’un de ses pavillons centraux, le pavillon H, alors qu’il est indispensable à la cohérence de cet ensemble exceptionnel. Cet hôpital bénéficie pourtant du label « Patrimoine du XXe siècle », et une partie de ses bâtiments sont protégés au titre des Monuments historiques, mais pas le pavillon H.

La chercheure-photographe Anne-Sophie Clémençon a voulu témoigner, par un travail photographique, de cette disparition contre laquelle aucune voix ne s’est élevée. Elle s’est rendue régulièrement, entre décembre 2014 et août 2016, sur le chantier du pavillon H, avant, pendant et après sa démolition. La série de photos présentées montrent clairement à la fois la violence et l’erreur architecturale et urbaine que constitue cette amputation. D’autres solutions, après concertation, auraient sans doute été possibles : un bâtiment en marge de l’hôpital, une construction en sous-sol, un déplacement de l’hôpital dans un autre lieu. Cette dernière option aurait pu entraîner un changement de fonctions des bâtiments actuels, en habitations par exemple… S’il n’y a pas de prise de conscience, Lyon se réveillera un jour pour s’apercevoir que l’œuvre de Tony Garnier a disparu, dénaturée par les amputations et les modifications successives, dans l’indifférence générale.