Emmanuelle VERNIN

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©SBinoux

Emmanuelle Vernin est une jeune artiste photographe, diplômée de l’Ecole Supérieure d’Art et Design de Saint-Etienne (ESADSE) en 2016. Membre du Laboratoire Images-Récits-Documents (IRD), elle a également intégré le LabeX IMU lors de son DNSEP en 2015-2016.
Elle mène depuis différents reportages photographiques sur la disparition des territoires industriels.
Depuis 2015, son travail est documentaire et se concentre sur les Docks de Vaise, aujourd’hui appelé le Quartier de l’Industrie à Lyon. Il consiste à archiver chaque étape d’une transformation : de l’existant d’un territoire industriel à son devenir de zone tertiaire.
Elle utilise la photographie argentique noir et blanc et parfois en couleur pour réaliser l’ensemble de ces images, mais pratique également l’installation, en récupérant des matériaux issus d’habitation du XIXème et XXème siècle. Son travail n’est pas celui d’un archiviste mais est influencé par la méthode et la rigueur de l’archive, pour construire un récit sensible de ces différents lieux. Un récit sensible qui doit être cohérent et construit par la recherche historique des lieux.

« Georges Perec écrit en 1980 que “ La photographie est un défi à la disparition ” ; cette citation illustre au mieux ce qui anime ma volonté de photographier. Les lieux que je convoite sont en périphéries, proches des villes mais suffisamment éloignés pour qu’ils soient délaissés du noyau urbain. Dans ces territoires, le temps fait son œuvre : les bâtiments se vident, périssent et les rues se désertent avant de disparaître. Mais en parcourant attentivement et en revenant de nombreuses fois sur ces territoires, on trouve encore quelques signes discrets du passé industriel. Il faut alors les chercher pour les recenser, on s’attarde sur les détails que l’on découvre au fil de la marche et que l’appareil se charge d’enregistrer.

Je me donne pour mission de saisir chaque reste de ce passé, d’assembler chaque détail qui existe indépendamment et qui, une fois assemblée, constitue un récit en formant “ un ensemble comme dans un puzzle ”.
L’image photographique est un témoin, une trace immuable de ces lieux c’est en quoi elle est un défi à la disparition. Tout comme l’archéologue préventif, je me charge de prendre note de chaque fragment qui subsiste par les moyens de la photographie mais aussi par la récupération de matériaux pour des installations en pratiquant (technique de reconstruction méthodique des ruines à partir de ses débris). Afin de rendre visible ce qui a disparu, ce qui était banal et quotidien et prévenir en montrant le devenir des lieux…

Nombreux sont les artistes à avoir influencé ma recherche plastique : Robert Smithson, Sophie Ristelhueber, Camille José Vergara, Gilbert Fasteneakens et d’autres. »

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Vue d'exposition du dispositif des Docks de Vaise, table 3, juillet 2016 ©Emmanuelle Vernin
 

Les Docks de Lyon-Vaise, mutations d’un quartier industriel

Le quartier des Docks de Vaise est situé au nord de Lyon. Au cours du XIX et XXème siècle, il est un faubourg important, où s'est principalement développé l'activité industrielle lyonnaise jusque dans les années 1970. Depuis une dizaine d'années, les Docks subissent une réelle mutation devenant une vaste zone tertiaire et résidentielle. Les bâtiments industriels jusque là conservés sont détruits, les rues re-configurées. Peu du corps industriel a été préservé et depuis janvier 2015 je me rends chaque mois photographier les Docks, pour observer et documenter les transformations en cours.
Photographier une mutation implique la notion de "date de péremption" de l'image. C'est à dire que chaque photographie est éphémère et le site alors re-photographié permet de saisir, au plus près, le processus d'un quartier industriel en mutation. Chaque étape d'un chantier doit être documentée et correspond à une catégorie de réalité et d’image qui possède sa propre chronologie :
- l'immeuble vacant et condamné,
- la destruction,
- le déplacement des gravas,
- les fouilles menées par l'archéologie préventive,
- les fondations,
- le bâtiment en construction,
- l'immeuble neuf non-livré ou en vente.
La transformation de la ville implique une attitude spécifique qui demande rigueur, mémoire et connaissances. Cette attitude influencée par celle du chercheur et de l'archéologue consiste à archiver l'évolution urbaine d'un site industriel, et de sa disparition par les moyens de la photographie. Cette base de donnée est toujours en cours, elle
comprend à ce jour une soixantaine de photographies archivées.
Chaque détail est alors important, il peut-être lu seul mais lorsqu'il est assemblé à d'autres, il parvient à donner une image globale des Docks. L'emploi de la photographie argentique noir et blanc apporte une trame sensible à cette recherche, en vue d'élaborer un récit complet de la disparition d'un lieu et son devenir. Le dispositif de la table permet d'ajouter régulièrement les photographies à venir. Mais surtout, il rend manipulable l'archive photographique et installe un autre rapport entre l'observateur et la photographie : l'invitant à fouiller pour découvrir son ensemble, à constituer lui-même son récit.