Les formes de la métropole : du réseau à la canopée, de la mesure au paysage – Soutenance de Manuel APPERT (EVS) pour l’Habilitation à Diriger les Recherches (HDR)

Manuel APPERT, Maître de conférences en géographie, Directeur de l’Institut de Recherches Géographiques (IRG/ UMR 5600 EVS) soutiendra son Habilitation à Diriger les Recherches (HDR) le 14 décembre 2016 à 14h30 – Amphithéâtre de la MILC – 35 rue Raulin, 69007 Lyon

 

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Résumé du mémoire

Les formes de la métropole : du réseau à la canopée, de la mesure au paysage

Mon parcours de géographe montre une apparente diversité dans les sujets abordés : réseaux techniques de transport, mobilité, planification stratégique jusqu’en 2007, puis une réorientation vers l’urbanisme, le retour des tours en Europe, les conflits paysagers qu’elles suscitent notamment dans le skyline, une dimension du paysage urbain que je propose de formaliser. Malgré la variabilité des objets étudiés, une colonne vertébrale fondée sur trois entrées sécantes développées a été révélée par l’HDR : la métropolisation, les formes urbaines et l’aménagement. L’espace géographique de mes recherches constitue lui aussi un fil rouge : je travaille sur l’espace de la ville, particulièrement celui des grandes villes, avec une focale encore plus spécifique sur Londres.

J’ai d’abord saisi les objets techniques par une grille de lecture positiviste, en considérant par exemple les réseaux de transport comme réalité matérielle relativement autonome des conditions de leur production et dotée d’un pouvoir de structuration de l’espace. J’ai progressivement incorporé l’inscription des réseaux dans ce qui fait territoire : les pratiques individuelles (la mobilité) et les dispositifs mis en œuvre par l’expertise et arbitrés par la représentation politique. J’ai ensuite appréhendé au moins autant la matérialité que ses significations négociées entre les acteurs de la fabrique de la ville. En mobilisant la notion de paysage pour comprendre la production et réception des tours notamment, je rends compte des représentations des acteurs, en supposant qu’elles participent de leurs stratégies. Ma finalité n’est pas tant d’expliciter les normes culturelles en jeu que de comprendre comment les tours sont négociées dans la fabrique urbaine contemporaine.

 

Tours, skyline et canopée

Avec le programme de recherche SKYLINE (2012-2016), j’ai emmené un collectif de chercheurs dans l’exploration des enjeux paysagers des tours en focalisant l’attention sur une dimension particulière du paysage de la ville : le skyline. Du fait de leurs caractéristiques architecturales et de leur proéminence, les tours s’inscrivent dans le paysage matériel à toutes les échelles. En revanche, elles seules sont lisibles et impactent le grand paysage lu dans son volume. Elles y jouent parfois le rôle d’emblèmes de dynamisme économique et/ou de renouvellement urbain et traduisent un projet politique (McNeill 2005 ; Appert 2008, 2011, 2012). Par leur visibilité, de près comme de loin, elles font partie des édifices les plus contestés, ce au moment où le paysage est remobilisé à la fois comme cadre de vie et pour faire adhérer les populations aux projets urbains. Dans les villes européennes, la contestation des tours s’organise et s’amplifie : Londres (Appert et Drozdz 2010), Paris (d’Aboville 2015), mais aussi Séville, Vienne, Barcelone, Genève et même Saint-Pétersbourg sont concernées (Dixon 2009).

Dans un premier temps, j’ai caractérisé le retour des tours en Europe et propose d’en expliciter les ressorts. Les Trente Glorieuses et l’adhésion au modernisme architectural et urbain ont précipité une première phase de construction de tours, que ce soit en Europe de l’ouest ou de l’est. Les villes du continent se verticalisent sous l’effet conjugué des initiatives des promoteurs immobiliers et des grandes opérations d’aménagement menées par les pouvoirs publics. Les crises économiques qui se succèdent dans les années 1970 et 1980 et la montée des aspirations à la patrimonialisation réduisent l’appétence pour les tours, rejetées à la fois par une partie de la population et les municipalités. Les décennies 1980 et 1990 sont celles d’un étiage marqué, à quelques exceptions prés. Après cette période d’étiage durant laquelle très peu de tours ont été construites, les villes européennes connaissent un regain d’intérêt pour cette forme architecturale et urbaine.

La nécessité de densifier les villes en réponse aux injonctions du développement durable fait quasi-consensus politique. Elle s’arrime sur une gouvernance publique-privée dans laquelle les municipalités devenues entrepreneuriales adoptent un agenda de croissance qui passe le plus souvent par des politiques visant à rendre plus attractifs les territoires urbains. Dans ce contexte, les tours se trouvent de nouveau légitimées. Elles sont synonymes de maximisation de l’usage du sol pour des fonctions résidentielles et commerciales et, lorsqu’elles sont localisées à proximité des nœuds de transport collectif, des signaux de centralité de réseau et de régénération urbaine.

C’est une logique économique de l’offre qui prévaudrait : le choix des tours n’émane pas des populations et pas non plus nécessairement des municipalités. La promotion immobilière est désormais le principal acteur de la verticalisation. Certains élus, conquis par la symbolique des tours, instrumentalisent les projets pour commercialiser leurs territoires. L’urbanisme négocié, particulièrement dans le cas de Londres, vise d’abord à accommoder la croissance urbaine, et rentre en friction avec la préservation du patrimoine ou l’adéquation de l’offre de logements aux besoins locaux.

Les représentations des tours resteraient souvent complexes et polarisées. Les acteurs français interrogés dans cette partie ont confirmé l’hypothèse d’un traumatisme de l’architecture moderniste, des grands ensembles, parmi les praticiens, les élus et une partie de la population. Prenant acte de cette imaginaire négatif, les promoteurs ne tableraient donc pas sur un retour « spontané » vers les tours (Fincher, 2007; Mollé, 2016). Ils tendraient plutôt à remobiliser les imaginaires de l’élévation, de la domination et de la distinction, pour reformuler leur offre de logements et de bureaux verticaux dans des produits commerciaux qui associent habitat, vue et lifestyles.

Dans un deuxième temps, je reviens sur les conflits paysagers suscités par le retour des tours en Europe, une question souvent occultée par les recherches qui ont pour horizon la durabilité urbaine. Promouvoir une ville durable ne se limite pas à identifier et mettre en œuvre les conditions d’une ville moins énergivore, il s’agit aussi de considérer l’altération potentielle des rapports des sociétés urbaines à leur paysage dans le contexte de verticalisation. Projection des activités, des normes et des règlements urbains, le paysage urbain est aussi un marqueur territorial, une signalétique du « vivre-ensemble » et une ressource économique et sociale. Le retour des tours mobilise plusieurs dimensions du paysage. Dans la majorité des cas, le skyline – même s’il n’est pas toujours nommé – en tant que matérialité et représentation d’une vaste portion du territoire urbain lue dans sa verticalité, est au cœur de conflits entre acteurs économiques, praticiens, élus et associations. Ayant acté et analysé les conflits associés au skyline (Appert, 2008, 2011 ; Appert et Montès, 2015), J’ai proposé de décrypter la notion, d’en stabiliser le contenu et les contours, et d’en discuter les représentations matérielles et mentales pour alimenter le débat public. La réflexion s’inscrit enfin pleinement dans l’aménagement, dans la mesure où elle alimente l’appareillage des acteurs, municipalités et associations, confrontés à une accentuation de la pression à la verticalisation

La proposition de définition du skyline à laquelle je suis parvenu, s’appuie sur trois postulats. Le skyline recouvre d’abord une dimension matérielle : il correspond à un ensemble de combinaisons de vue et points de vue qui conduit le regard à embrasser de vastes portions du territoire urbain en engageant sa verticalité contre le ciel. Le skyline possède ensuite une dimension sociale et culturelle : il est projection d’activités humaines, de normes culturelles, sociales et règlementaires ; en retour, via les représentations des acteurs, il est porteur de valeurs économiques et participe du cadre de vie et du bien-être. Le skyline est enfin politique : en tant que projection et marqueur d’une société urbaine plurielle, il fait l’objet de débats et de régulations. Le terme de skyline devient ainsi objet scientifique que le géographe peut saisir, à la fois dans une perspective heuristique mais aussi pour aider à la décision (chapitre 3). Le travail définitionnel a constitué une première étape pour discuter trois dimensions de la notion qui sont autant d’approches méthodologiques différentes : la matérialité des vues et la visibilité notamment à travers la modélisation (chapitre 4), la signification et les dispositifs esthétiques du skyline mobilisant des approches plus sensibles et culturelles (chapitre 5) et leur réception, par les publics experts et non experts, appréhendée par le truchement d’enquêtes (chapitre 6).

Dans une dernière partie, j’énonce ce qui constitue une programmation des recherches à venir dans le prolongement du programme ANR SKYLINE. Ces recherches futures s’inscrivent dans le champ de la ville verticale, que je continue à alimenter à travers deux axes distincts : l’habiter et la formalisation et la mesure de la canopée urbaine.

Le premier axe, repose sur deux programmes de recherche qui viennent de débuter : la Chaire industrielle HEVD (Université de Lyon, labex IMU) et l’ANR HIGH-RISE. Dans ces deux programmes, j’envisage l’habiter dans les tours à travers la production de l’habitat vertical, ses représentations et les modes de vie qui s’y déploie en France et au Royaume-Uni. Le constat initial est celui d’une exclusion du choix des tours dans les opérations de renouvellement urbain en France alors même que les autres pays européens ont cumulativement approuvé plus de 350 projets (Appert, 2015). Il s’agira d’interroger les stratégies des acteurs de l’immobilier, ainsi que des représentations dont font l’objet les tours résidentielles dans les deux territoires étudiés, que ce soit chez les praticiens, les acteurs de l’immobilier que chez les habitants et résidents des tours. Il s’agira ensuite d’étudier plus spécifiquement les pratiques (domestiques, mobilité, sociabilité, usages des espaces) dans les tours résidentielles du parc privé et social à partir de plusieurs études de cas. Enfin, les contraintes règlementaires et les contextes techniques et économiques associées à la production de l’habitat vertical seront analysées pour comprendre leurs incidences sur d’une part, les stratégies des acteurs immobiliers et d’autre part, les modalités d’occupation et d’usage par les résidents.

Le deuxième axe repose sur le montage d’un projet de recherche réunissant chercheurs et praticiens issus de différentes disciplines (géographie, informatique, urbanisme, architecture, droit et sociologie) pour étudier la capacité, la visibilité, le potentiel et les usages possibles de la canopée urbaine. Face aux pressions que représentent la durabilité environnementale et l‘urbanisation constante, les toitures (l’élément bâti de la canopée urbaine) pourraient apporter des capacités supplémentaires, constituer des espaces de vie, de loisirs et même de production, agricole et d’électricité, etc. Le projet prévoit : 1/ une réflexion transdisciplinaire sur la définition de la canopée urbaine ; 2/ une analyse d’expériences d’usages des toits et des aménagements de toiture ; 3/ une évaluation des capacités et de la visibilité de la canopée urbaine et 4/ le développement et test de scénarios de réutilisation des toits (avec le doctorant en informatique).